La journée d’étude RE:2024, organisée par l’axe STS (Science & Technology Studies) du laboratoire ETIS, cherche à construire un dialogue interdisciplinaire autour de questions situées à l’interface de l’environnement, des sciences et des techniques, de la société et des représentations. Elle vise à explorer de nouvelles manières de faire et de produire des savoirs, en portant l’intérêt sur les rapports entre arts et science, sur la conception d’objets techniques sobre, soutenable, socialement et culturellement pertinents, mais aussi sur l’expérimentation de nouvelles modalités de l’écriture scientifique. L’ambition est d’engager des échanges autour de questions technologiques et épistémologiques à l’interface de disciplines issues autant des sciences et techniques de l’ingénieur que des sciences humaines et sociales.
Argumentaire
Le développement des technologies de l’information a la réputation de transformer en profondeur les pratiques scientifiques (Agar, 2006), mais aussi artistiques et plus largement sociales. L’ordinateur, par exemple, a très vite joué le rôle d’objet frontière (Star & Griesemer, 1989) en agrégeant deux dimensions jusqu’alors bien distinctes : celle relevant des faits et celle relevant de l’imagination. Mais on aurait tort de penser qu’à l’instar de l’ordinateur, les objets techniques soient, à eux seuls, capables de provoquer d’aussi importantes transformations. Ces objets obligent à penser les articulations entre ce qui relève de la technique et ce qui relève du social. Technique et société ne en effet sont pas séparées (Akrich, 1989). Et si des objets comme l’ordinateur ont bien des effets sur la vie sociale, les reconfigurations de l’espace des savoirs sont aussi liées à la façon dont elles sont observées, à l’intérêt et aux critiques qu’elles suscitent. Ces quarante dernières années, l’étude des cultures épistémiques propres aux disciplines scientifiques (Knorr-Cetina, 1999), mais aussi les études féministes (Haraway, 1988) et post-coloniales (Saïd, 1978) ont ainsi vivement critiqué la notion d’objectivité, en particulier en notant le caractère situé des productions scientifiques et techniques ou en révélant l’existence de mécanismes cognitifs et culturels de domination profondément ancrés dans les pratiques et dans les relations. Ces études appellent non seulement à prendre en compte l’ethos scientifique dans la compréhension des processus d’objectivation, mais également à mieux intégrer les diverses médiations à partir desquelles se constituent les savoirs. Il s’agit de redonner du sens à l’objectivité, non pas en revitalisant la rigidité qui autrefois caractérisait les critères permettant de l’établir (Daston & Galisson, 2010), mais au contraire en essayant de reprendre et de redonner confiance dans ses processus (Latour, 2012).
En cherchant à dépasser les approches disciplinaires, le but de RE:2024 est de croiser les perspectives en questionnant les objets et les méthodes, et en se plaçant à l’interface de l’environnement, des sciences, de la société et des représentations pour mieux saisir les reconfigurations épistémiques actuellement à l’œuvre. Cette journée d’étude cherche à explorer de nouvelles manières de faire et de produire des savoirs. Elle vise à penser de manière transversale et interdisciplinaire aux rapports entre arts et sciences, à des manières de concevoir des objets sobres, soutenables, socialement et culturellement pertinents, à penser à d’autres manières d’expérimenter ou à envisager de nouvelles modalités de l’écriture scientifique. L’idée est de rassembler des chercheuses et des chercheurs d’horizons divers, avec l’ambition de partager les expériences, les méthodes et les résultats afin de poursuivre une réflexion croisée sur les espaces communs d’où pourrait émerger une épistémologie hybride (Wilson, 2009).
Un robot peut-il exploiter le potentiel de la bioélectricité (Santoro et al., 2017) ? Peut-on faire des neurosciences sans neurones (Adamatzky, 2022) ? Comment construire des machines écologiquement et socialement soutenables (Blanchard & Pitti, 2022) ? Comment inventer les moyens de mieux anticiper les effets sociaux de l’intelligence artificielle (Becker, 2023) ? Les pratiques de l’art ou du design peuvent-elles aider à mieux saisir les questions sociales, éthiques et politiques associées aux objets scientifiques et techniques (Born & Barry, 2010) ? L’urbanisme et les sciences peuvent-ils s’associer pour penser la ville comme on pense un métabolisme (Chiambaretta, 2018) ? Comment penser la société de demain, ses rééquilibrages, ses adaptations, ses crises (Hamilton, Bonneuil & Gemenne, 2015)
REFERENCES
Adamatzky, A. (2022). Neuroscience withouth neurons. AIP Conference Proceedings, 2425(1).
Agar, J. (2006). What difference did computers make ?. Social Studies of Science, 36(6):869-907.
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